L’œuvre de Nina Tomàs se caractérise à la fois par une manière singulière de composer à partir d’images et de textures aux origines variées et, d’autre part, par un déploiement spatial du médium de la peinture. À son origine, il est un regard porté sur des fragments visuels glanés quotidiennement dans le paysage et au gré de ses voyages, ainsi que la réminiscence d’images existantes empruntées aux archives ou à l’histoire de l’art. Elle puise des motifs dans ce vaste atlas en perpétuelle évolution en vue de les faire cohabiter au sein de l’espace pictural. Ces mises en relation d’éléments hétérogènes, agencés de manière spontanée, voire inconsciente, engendrent des mondes oniriques où les tiraillements du contemporain s’expriment en creux.
L’omniprésence de l’image et la manière dont elle surgit, par strates, sont retranscrites, comme dans l’œuvre Réseau Perdu (2017), alors que Tisser les nuages (2021) met en évidence la coexistence de valeurs antithétiques. Ailleurs, les conséquences de l’Anthropocène sont évoquées, notamment dans le polyptyque À Reculons (2020). Partout s’illustre une identité hybride, impossible à figer. À l’instar du caractère ouvert de ses compositions, Nina Tomàs repousse sans cesse les limites spatiales du médium pictural. Le châssis, habituellement caché au regard, est employé comme support. Ses polyptyques investissent l’espace tridimensionnel par leur agencement pensé en relation aux espaces qui les accueillent (Sens uniques, 2016). Des motifs picturaux se voient prolongés au-delà de la surface de la toile par d’autres médiums tels que le dessin (Hors contexte 1, 2, 2017), la sculpture (Femmes de Hampi, 2019 et Le miroir de l’écart,2020) ou encore l’image en mouvement. Dans chacune de ses œuvres, plusieurs traitements picturaux sont employés, oscillant entre spontanéité et gestuelle plus maîtrisée. Aplats de couleur alternent ainsi avec des détails esquissés ou figuratifs, d’autres résultant de la répétition de motifs abstraits, mais aussi avec des tissus d’origines diverses qui recouvrent partiellement le châssis. Ses compositions laissent également place à des respirations, des zones vierges où la toile se révèle, brute – telles les pages blanches d’un récit qui se veut à jamais inachevé. Le processus de Nina Tomàs, depuis l’attention portée à des fragments du monde jusqu’à la manière de les retranscrire sur la toile et au-delà, reflète une posture singulière qui privilégie la lenteur, une approche méditative de la création. Ses œuvres proposent un «voyage » pour le regard, selon ses termes, ou une invitation à s’immerger, lentement, dans la profusion des détails proposés, leur ramification et leur démultiplication, et dans les effets produits par la juxtaposition des techniques, des médiums et des textures.
Pour Freigeister, Nina Tomàs propose une sélection d’œuvres récentes mises en relation au Mudam de manière inédite. Elle comprend notamment un polyptyque d’envergure composé de neuf panneaux, Chantier organique (2021), conçu spécifiquement pour l’exposition. Plusieurs motifs y cohabitent, incluant entre autres des représentations artificialisées du vivant, des drapés, les contours d’un palais ou ceux d’une architecture urbaine. Thémis (2021), une peinture employant le châssis comme support, est présentée à ses côtés. Le buste antique qui y figure, référence à l’allégorie de la Justice aperçue dans la scénographie d’une vitrine luxueuse, est ici placé sur une barque à la dérive. L’attribut des yeux bandés qui lui est associé semble révéler, dans ce contexte, une volonté affirmée de rester aveugle à la situation. À cet ensemble répond Le jeu des perles de verres (2021), un volume en bois qui s’apparente à un polyptyque replié sur lui-même. Enfin, Porifera (2021), une toile libérée de son châssis relie le sol et le mur de l’espace d’exposition, tel un organisme vivant prenant possession des lieux. D’un format à l’autre, l’iconographie et les textures se répondent et se complètent. Étrangers à leurs contextes d’origine, ces fragments ici associés reflètent de manière poétique les dissonances de l’époque contemporaine.
Sarah Beaumont, 2021
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