Vue de l’exposition de fin de résidence, 22.09 – 24.09.2023, RAVI, Liège | © photo: Nicolas Carrier
J’épinglerais d’abord son intérêt pour la peinture ancienne et, en particulier, celle de la Renaissance italienne mais pas seulement. On le sent dans ses interventions sur les deux « cubes » produits aux RAVI ; la manière est précise, maîtrisée, « léchée ». Dans la structure des deux volumes aussi : Nina Tomàs les comprend comme des polyptiques – forme par excellence du retable d’église – qu’elle peut « activer » du repli total à l’ouverture en forme de croix. Mais surtout dans les citations de leurs motifs. Il faut le savoir : une face porte une composition d’après la fresque du Songe d’Innocent III par Giotto dans la basilique supérieure d’Assise (fin XIIIe siècle) ; ici, le pape est remplacé par une jeune fille assoupie ; l’église du Latran par celle de Saint-Barthélemy à Liège légèrement customisée pour l’occasion et soutenue non par saint François mais par un jeune homme « court vêtu » au corps tendu suivant la figure du poirier. Plus loin, une tranche de saumon d’après une nature morte de Luis Mélendez (1716-1780) conservée au Prado. Plus loin encore, une coupe anatomique de deux fesses assisses entre deux faces d’un cube de telle façon qu’elles apparaissent plus fruits que chairs. On cherchera sans succès la citation dans les formes incertaines qui occupent tout un côté ; Nina Tomàs les a dessinées à l’observation de sucettes dont l’apparence l’intéressait ; même chose pour les images d’une tempête sur Jupiter. Il faut s’attacher à la richesse des dialogues que le travail instaure. Dialogue entre le plein et le vide puisque le support est largement vierge et que les motifs sont très denses. Dialogue entre le construit et l’organique : il est manifeste dans l’opposition entre la structure primaire du cube, le choix de laisser apparent le matériau naturel et l’inscription de parties peintes dans les veines du bois. Dialogue entre intérieur et extérieur déjà sensible dans la « mécanique » des cubes. Dialogue entre la vanité d’une nature morte et les spiritualités orientales dont Nina Tomàs relève les valeurs cycliques. « Ces dernières sources ont une grande importance pour moi. C’est explicite dans des références au Kama Sutra ou avec une toile intitulée Mula Bandha d’après le nom du premier verrou énergétique majeur du yoga lequel se situe au niveau du périnée. J’y trouve des vertus de discipline, de méditation, d’engagement, de précision, de lenteur qui ont du sens jusque dans l’exécution de mes oeuvres. Il y a aussi les recherches de vide, les rapports avec le temps et ces moments où les éléments apparemment disparates se connectent. J’y inclus aussi le choix des couleurs et de certaines matières notamment textiles. Mais surtout faut-il compter avec les points de jonction entre le psychique et le corporel, entre l’intérieur et l’extérieur. »
Autre thématique : l’hystérie. Pour une petite peinture « méchamment » cernée de plumes mauves, l’artiste s’est inspirée d’un dessin de presse intitulé Le bal des folles signé par José Belon et paru dans Le Monde illustré en 1890. S’y trouve mis en image le défilé carnavalesque des malades soignées par Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière lors de leur traditionnel bal de la mi-carême où la bonne société parisienne était conviée. Les études de Charcot servent encore de base à une tapisserie parsemée de motifs sur fond noir. Nina Tomàs y recycle des clichés tirés des collections du célèbre neurologue français, montrant des patientes en crise et publiées dans l’Iconographie photographique de la Salpêtrière qui fit le tour du monde. L’approche est subtile. Nina Tomàs a repris les images en les brodant dans des tons qui faussent la lecture de leurs contenus. Et, en effet, je n’ai pas reconnu ces mises en scènes perverses, tragiques et souvent grandiloquentes … devenues à mes yeux les illustrations rassurantes d’exercices gymnastiques où s’exprime la plénitude de corps sereins.
Pierre Henrion, 2023
Vues de l’exposition de fin de résidence, 22.09 – 24.09.2023, RAVI, Liège | © photo: Nicolas Carrier
Vues de l’exposition de fin de résidence, 22.09 – 24.09.2023, RAVI, Liège | © photo: Gerald Micheels | Ville de Liège